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Cap21 LRC Toulouse

Fessenheim est le symbole de l’hypocrisie énergétique française

30 Octobre 2018, 11:02am

Publié par Corinne Lepage

Fessenheim est le symbole de l’hypocrisie énergétique française

La décision du Conseil d’État, jeudi 25 octobre, d’annuler le décret de fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim révèle, selon l’autrice de cette tribune, l’hypocrisie d’un système énergétique sur lequel le pouvoir politique n’a pas de prise.

Corinne Lepage est présidente de Cap21/Le Rassemblement citoyen.

Corinne Lepage.
 

L’annulation du décret de fermeture de Fessenheim par le Conseil d’État est apparue comme une forme de scandale : comment l’absence de délibération correcte (sans doute tout à fait volontaire) de EDF (dont l’État possède 84 % des parts) pour demander la fermeture de la centrale peut-elle primer sur une volonté politique très clairement affichée ? Pourtant, le scandale n’est pas dans la décision du Conseil d’État, même si ce dernier a toujours validé (sauf pour Creys-Malville) toutes les décisions, même les plus illégales, dès lors qu’elles défendaient le nucléaire. Il est dans l’organisation même du système. En fait, Fessenheim est le symbole de la parfaite hypocrisie du système, qui semble s’inscrire dans l’État de droit mais qui n’est qu’une stratégie permanente de contournement des règles.

Contournement tout d’abord des normes de sécurité qui conduit à une prise de risque délibérée. Cette centrale, construite dans une zone hautement sismique, en contrebas de plus de 8 m du canal du Rhin, avec une simple enceinte de confinement, sans tour de refroidissement, est en elle-même le modèle de ce que l’expérience nous a appris à éviter si nous ne souhaitons pas Fukushima chez nous. D’où l’exaspération de nos voisins et la concentration de la contestation européenne sur cette centrale. Mais il y a plus grave encore.

  • Incapable de respecter les normes européennes en ce qui concerne la concentration des produits chimiques dans l’eau, EDF a obtenu néanmoins l’autorisation de fonctionner par dérogation, l’absence de motivation de ces dérogations ayant fait l’objet d’un arrêt du Conseil d’État sans aucun effet puisque le même arrêté a été repris sans davantage de motivation. La seule motivation est qu’il n’est pas possible de faire autrement… mais est-ce une motivation ?
  • Incapable de respecter les règles de sûreté mises en œuvre en ce qui concerne la tenue des générateurs de vapeur, puisque certains générateurs de vapeur de Fessenheim font partie des pièces falsifiées construites au Creusot. EDF a obtenu de l’Autorité de sûreté nucléaire le droit de fonctionner sans que les règles de qualité ne soient remplies et sans que les critères initiaux ne soient satisfaits…
  • Incapable enfin de respecter les propres règles que l’Autorité de sûreté nucléaire vient de fixer pour la fermeture. En effet, l’Autorité de sûreté nucléaire vient de reconnaître que, faute d’avoir fait les travaux nécessaires à une prorogation au-delà de 40 ans ni même de les envisager, Fessenheim devait fermer une fois passé le délai de 40 ans. Sauf que ce délai est passé, puisque la centrale a été mise en service le 1er janvier 1978… elle aurait dû fermer au 31 décembre 2017. Mais là encore, contournement des règles puisque le délai est computé non pas à partir de la mise en service mais en computant le délai par tranche de 10 ans, en se fondant sur les visites décennales qui ont été repoussées au fur et à mesure du temps. La dernière visite décennale ayant eu lieu en 2012, cela donne un délai à 2022.. soit 45 ans.
Il serait peut-être temps d’appliquer à l’industrie nucléaire des règles de rationalité

Le deuxième système de contournement mis en place est purement financier. Pour « accepter » la fermeture de Fessenheim, EDF a obtenu de l’État le versement d’une indemnité de 400 millions d’euros plus le manque à gagner résultant d’un fonctionnement possible de 50 ans. On croit rêver ! Il s’agit tout simplement d’une supercherie destinée à contourner les règles d’aides d’État qui interdisent à la France de continuer à subventionner comme elle le fait le système nucléaire. Rappelons que le contribuable a déboursé la bagatelle de 7 milliards d’euros en 2017 pour renflouer Areva et EDF, la première étant en faillite et la seconde fort mal en point. Mais, la fermeture de Fessenheim étant maintenant décidée par l’ASN pour cause de manquement aux règles de sûreté indispensables au prolongement de la durée de vie au-delà de 40 ans, il n’existe plus aucune raison pour que le contribuable se voie contraint de verser la moindre indemnité à EDF. A fortiori, cette centrale ne présentant évidemment pas les qualités nécessaires et ce d’autant plus que les règles post-Fukushima y sont inapplicables, EDF ne dispose d’aucun fondement juridique pour demander quelque autre indemnité que ce soit. Il serait peut-être temps d’appliquer à l’industrie nucléaire des règles de rationalité, d’admettre ce que tous les autres pays ont admis, à savoir l’absence de rentabilité de cette énergie et de développer réellement et massivement le renouvelable, le stockage et l’efficacité énergétique. Ce n’est visiblement pas la stratégie choisie, la France continue à investir massivement dans cette industrie du passé et, pour éviter les fourches caudines de la Commission européenne, la pseudo indemnisation de Fessenheim est une trouvaille.

Enfin, le comble de l’hypocrisie réside dans l’organisation juridique, qui prive le pouvoir politique de réaliser ses choix énergétiques. En effet, le Code de l’environnement dans sa rédaction actuelle exclut toute intervention du pouvoir politique pour fermer une centrale nucléaire et donc appliquer les choix énergétiques qu’il prétend faire. Une centrale nucléaire ne peut fermer que si l’exploitant le demande ou si l’Autorité de sûreté nucléaire l’exige pour des raisons de sûreté. Dans ce cas, le pouvoir politique peut également agir sur avis de l’ASN. EDF ayant décidé de porter la durée de fonctionnement de ses centrales nucléaires à 50 ans - c’est ce qui figure dans sa comptabilité comme si l’ASN n’existait pas –, elle n’a aucune raison de demander leur fermeture. Sa seule obligation consiste à respecter le plafond –et non le plancher comme elle le soutient – de production d’électricité nucléaire prévu par la loi. D’où la contrainte de demander la fermeture de Fessenheim si Flamanville ouvrait un jour….

Il est donc indispensable de sortir de l’hypocrisie et de modifier la loi pour permettre au gouvernement de décider, pour des raisons de politique énergétique, de la fermeture de centrales nucléaires. Ne pas procéder à ce changement équivaut à continuer à prendre les Français pour des imbéciles en prétendant faire des choix que l’on est dans l’impossibilité de réaliser.

En définitive, l’arrêt du Conseil d’État a pour avantage de nous ramener dans la réalité et non dans la fiction dans laquelle nous avait introduit le « faux » décret de fermeture de Fessenheim. La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et les limites évidentes de l’exercice qui résulte de l’absence de pouvoir juridique du gouvernement confortée par l’inutilité totale de ses représentants au conseil d’administration — qui s’abstiennent sur les sujets majeurs pour cause de conflits d’intérêts — doivent conduire à sortir de l’hypocrisie et à répondre enfin au souhait d’une majorité de Français : organiser une sortie raisonnée et rationnelle du nucléaire.

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Réchauffement climatique : l'analyse de Corinne Lepage

14 Octobre 2018, 15:36pm

Publié par Corinne Lepage

Il va falloir se prendre en main pour éviter l'extinction de l'espèce humaine.

Il va falloir se prendre en main pour éviter l'extinction de l'espèce humaine.

L'avocate et ancienne ministre, Corinne Lepage pose un regard plein d'espoir face au réchauffement climatique et à la responsabilisation de chacun. 

Le rapport du Giec, paru le 8 octobre, n’est pas une surprise. À un élément près. Contrairement à l’avis de beaucoup, les 1,5°C sont encore atteignables. À une condition : que 2020 soit l’année du pic d’émissions de gaz à effet de serre, année à partir de laquelle les émissions décroîtront pour parvenir à une neutralité carbone en 2050.

Les mesures à prendre

Les mesures à prendre pour atteindre 1,5°C ou 2°C sont globalement les mêmes. Ce qui diffère profondément, c’est la date à laquelle ces mesures seront prises et surtout les effets qu’une augmentation moyenne des températures de 1,5 ou 2°C aura sur l’Humanité, les êtres vivants et les ressources planétaires.

Ne pas agir dans les deux ans nous conduirait immanquablement à une hausse minimum de 2°C, et encore, à la condition que le pic des émissions de gaz à effet de serre ait lieu en 2030. Notre génération a la responsabilité de choisir entre l’effondrement (les tenants du collapsus sont de plus en plus nombreux) ou le sursaut. L’égoïsme des États, à commencer par celui manifesté par Donald Trump à la tête des États-Unis, ne facilite rien.

 

Pourtant, le rapport récent de la Commission mondiale sur l’économie et le climat de l’ONU propose une mutation sans précédent permettant d’atteindre 2°C. Les solutions existent, et de nombreuses entités non-étatiques sont entrées dans l’action : les mégalopoles du C40, les 800 régions du monde intégrées au R20, des entreprises convaincues de leur rôle dans une mutation rapide (à l’instar du Mouvement des Entrepreneurs de la Nouvelle Économie) et de nombreux organismes de toute nature à leur propre niveau. La société civile est en mouvement et l’inéluctable processus pour une justice climatique, qui se traduit aujourd’hui par plus de 1 200 procès dans le monde pour contraindre les États à agir, est une force considérable.

Restent tous ceux qui participent à l’économie de l’ancien monde, qui ne veulent renoncer à rien et comptent tirer profit de tout ce qu’ils peuvent, le plus longtemps possible. Et puis bien sûr, les États qui, certes, signent des conventions et des traités mais les oublient dès qu’il s’agit de politique intérieure.

Pour une pérennité de l'espèce humaine

Malheureusement, notre pays n’échappe pas cette règle. Nous avons une responsabilité collective d’enclencher les transformations de nos champs de compétences et de moyens. Dans cet objectif, la Déclaration universelle des droits et des devoirs de l’Humanité, seul texte signé aujourd’hui par toutes les composantes de l’humanité – citoyens, villes, régions, barreaux, universités, entreprises, ONG et un État -, donne une base commune et simple des droits et des devoirs qui sont les nôtres si nous souhaitons assurer la pérennité de l’espèce humaine.

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Le lobby nucléaire est aux commandes, au mépris de la sécurité des Français

7 Octobre 2018, 06:00am

Publié par Corinne Lepage

Les débats finaux –si tant est qu'il y en ait- autour de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) sont à pleurer tant ils méprisent l'intérêt des Français, les choix qu'ils ont exprimés lors du débat public, leur porte-monnaie et leur vie.

Le lobby nucléaire est aux commandes, au mépris de la sécurité des Français.

Le lobby nucléaire est aux commandes, au mépris de la sécurité des Français.

Le lobby nucléaire est bien obligé de sortir du bois pour préciser le nombre de centrales qu'il est prêt à fermer... Après 2029, puisque chacun a bien compris que c'est lui qui décidait de la politique énergétique de la France et par voie de conséquence des risques auxquels les français sont exposés et des coûts qu'ils seront bien obligés de supporter.

EDF serait donc prêt à fermer entre 7 et 12 réacteurs entre 2029 et 2035. Ils auront alors plus de 50 ans (sic). RTE plus raisonnable propose d'en fermer 6 d'ici 2028. EDF, qui traîne un boulet de plus de 50 milliards de dettes, mais est convaincu que le contribuable français la comblera comme il l'a fait pour partie pour Areva (tous les "trucs" sont bons pour éviter la colère de l'Union européenne et contourner l'interdiction des aides d' État) veut en plus construire 6 EPR à 10 milliards l'unité ... à condition qu'il soit capable déjà d'en construire un, ce qui n'est pas démontré. On croit rêver!

Tout ceci se fait bien entendu comme si l'autorité de sûreté nucléaire n'existait pas, mais il est vrai que sa complaisance lorsqu'il s'agit de prendre des décisions fortes se fait de plus en plus grande... voir son attitude déraisonnable par exemple sur les générateurs de vapeur de Fessenheim ou sur l'absence de réalisation dans les délais prévus des unités de secours des diesels qui devaient être réalisés sur toutes les centrales nucléaires (décision de 2012) et qui ne le sont que sur deux réacteurs à ce jour.

Tout ceci se fait au mépris de la sécurité et de la sûreté. Ainsi, grâce à une députée allemande, l'autorité de sûreté nucléaire a été mise dans l'obligation de publier la liste des événements dits précurseurs définis comme étant "ceux qui conduisent un accroissement de risque de fusion du cœur par rapport à la probabilité de fusion du cœur pris en compte lors de la conception des installations". Pas moins de 158 événements de ce type se sont produits entre 2003 et 2014 dont 14 pour Fessenheim 1 et 17 pour Fessenheim 2, nombre maximal atteint par quatre autres réacteurs -dont Bugey-. Ainsi, alors que le risque d'accident nucléaire s'accroît de manière considérable avec des réacteurs de plus de 40 ans qui ont été prévus initialement pour durer 30 ans, EDF n'hésite pas, pour son intérêt économique propre, à exposer les Français à des centrales de 50 ans d'âge.

Tout ceci se fait au mépris de l'avis émis par les Français lors du débat public qui s'est déroulé entre mars et juin 2018, sous l'égide de la commission nationale du débat public. La volonté de réduire la part du nucléaire en favorisant le renouvelable, et ce dans les délais les plus rapides, et de fermer les centrales vieillissantes s'est exprimé de la manière la plus claire. Mais, au mépris des exigences communautaires qui imposent de prendre en considération l'avis du public lorsqu'il est sollicité, le lobby nucléaire qui s'exprime désormais au plus haut niveau n'en a cure.

Tout ceci se fait enfin au mépris de nos intérêts économiques et industriels puisque le lobby nucléaire bloque tout développement sérieux de l'autoconsommation collective qui pourrait permettre une progression fulgurante de l'énergie renouvelable en France; il interdit aux collectivités locales de distribuer par des boucles locales l'énergie qu'elles pourraient produire, réduisant ainsi leur capacité économique. Et, il continue dans la contrevérité qui consiste à soutenir que nucléaires et renouvelables vont de pair alors que c'est faux puisque le marché stagne et que la production d'électricité nucléaire empêche toute progression des énergies renouvelables.

Tout ceci enfin se fait au mépris de l'intérêt économique et financier des Français. L'énergie nucléaire est désormais reconnue par le monde entier comme étant la plus chère du monde et, d'anciens dirigeants de l'AIEA reconnaissent eux-mêmes qu'elle n'est plus compétitive. Nous réengager dans la voie du nucléaire condamne la France et les Français à perdre encore en compétitivité, et à payer leur énergie beaucoup plus chère que ce que paieront à brève échéance nos voisins européens.

La responsabilité qui est prise actuellement à la demande du lobby nucléaire par les responsables politiques est immense et il va de soi que si un accident se produisait, ils en porteraient une responsabilité qui ne serait pas seulement morale. Dans tous les cas, ils porteront pour l'histoire la responsabilité d'une génération de dirigeants qui n'a pas compris la transformation du monde, a cru que communication pouvait longtemps dissimuler inaction et contre-action et qui se trouvera confrontée très rapidement à une réaction de la société civile qui refusera toute électricité qui ne sera pas verte...

Corinne Lepage Avocate, Ancienne députée européenne Cap21, ancienne ministre de l'Environnement

Source : Huffington Post

https://www.huffingtonpost.fr/corinne-lepage/le-lobby-nucleaire-est-aux-commandes-au-mepris-de-la-securite-des-francais_a_23550523/

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