Merci à tous pour avoir échangé avec moi. Dans vos questions, en filigrane on trouve la question de faire de la politique différemment.
Désormais je m’y emploie pour trouver des passerelles entre les politiques qui acceptent de changer leur logiciel et acteurs de la société civile qui acceptent de considérer l’aspect politique de leur démarche.
C’est le but de mes combats actuels car la France change et ce sont ces “faiseux” qui doivent agir en politique comme ils le font dans la vie courante.
Lucie: Où en est-on dans le procès Xynthia? Pensez-vous que certains élus de la Faute-sur-Mer puissent être réellement responsables? Avec le réchauffement climatique, ne risque-t-on pas d'avoir de nouvelles catastrophes dans le même genre?
Je voudrais réaffirmer que le procès de la Faute n’est pas celui de tous les maires mais d’élus, dont le comportement a été unique en France.
La preuve : Il y a eu 29 morts à La Faute, et aucun dans la commune voisine de l’Aiguillon. Le procureur a requis 4 ans dont 3 ans ferme contre la maire et 3 ans dont 2 ferme contre la première adjointe. Il faut attendre le délibéré au 12 décembre pour savoir s’il y aura condamnation.
Le changement climatique et l’érosion marine posent de nouveaux problèmes qui nécessitent une adaptation aux risques des collectivités locales et plus généralement de nous tous.
Julie: Un mot sur la nomination de Cañete comme commissaire européen en charge du climat?
La Commission est confirmée aujourd’hui. Cañete est un choix contestable de la part de l’Espagne d’abord, du président Juncker ensuite pour lui avoir donné ce portefeuille; mais sa confirmation vient d’un marchandage entre droite et gauche après la mise en cause de Pierre Moscovici.
Si la France avait choisi Mme Guigou, elle serait peut-être vice-Présidente de la Commission et haute représentante de l’Union. Et Cañete ne serait sans doute pas validé.
Jean: Le nucléaire est-elle l'énergie la moins chère à produire?
Certainement pas. Aujourd’hui la Cour des Comptes considère que le coût du KWh nucléaire est de 6,3cts sans inclure d’assurance, ni le coût réel du démantèlement, et avant l’amortissement des grands travaux à faire pour sécuriser le parc, et allonger sa durée de vie à 40 ans.
Le coût du nucléaire Flamanville sera autour de 11cts, à comparer avec l’éolien autour de 7cts, le solaire photovoltaïque entre 8 et 10 cts et qui ne cesse de baisser. La biomasse est encore moins chère.
Hervé: Si on vous propose de devenir Ministre de l'Ecologie, que répondriez-vous?
La question ne se pose pas. Ce ministère est un des plus difficiles en France et dans le monde. J’ai créé une association des anciens ministres de l’environnement qui compte une soixantaine de membres dans le monde et le souci est le même.
Parler de long terme, demander des investissements qui ne rapportent pas immédiatement, s’attaquer aux lobbies n’est pas très populaire chez les politiques!
Harry: Quels sont les liens entre les politiques et le lobby du nucléaire?
Dans mon livre «L’Etat Nucléaire», j’explique comment les défenseurs de l’atome civil sont organisés au sein du parlement, dans l’Office Parlementaire des Choix Technologiques et Scientifiques, représentés au gouvernement et présents dans les cabinets ministériels. Il existe aussi une association des élus salariés ou anciens salariés d‘EDF qui compte plus de 3000 membres.
M.: J’ai du mal à comprendre votre position. Par quoi proposez-vous de remplacer le nucléaire? Voyez l’Allemagne, qui pollue encore plus depuis qu’elle est passée au charbon. Par ailleurs, nous n’avons jamais eu d’incident majeur en France. Nos centrales sont sécurisées.
Il ne faut pas écouter la propagande. L’Allemagne n’est pas passée au charbon et a réduit de 25% ses émissions de gaz à effet de serre depuis 1990. Ce qui est vrai c’est qu’elle a brûlé moins de gaz et plus de charbon du fait du très bas prix. Mais dans le même temps, elle augmente massivement sa production de renouvelable, 27% en 2013 pour atteindre 40% en 2030. Elle est en transition.
Heureusement nous n’avons pas eu d’accident majeur en France - mais un incident très grave en 1969 à Saint-Laurent-des-Eaux.
Nos centrales sont moins sûres en vieillissant, certaines sont à risque comme Fessenheim ou le Tricastin et l’Autorité de Sûreté reconnaît elle même qu’un accident est possible en France comme ailleurs.
Gérard: Peut-on se passer entièrement du nucléaire?
Pas en l’état évidemment. Mais nous pouvons programmer une sortie sur la durée en ne renouvelant pas le parc et en remplaçant le nucléaire par le renouvelable, l’efficacité énergétique et sans doute de nouvelles solutions comme le stockage de l’électricité et surtout l’intelligence issue des smart grids et de la connectique.
Amélie: Quelle sera la place du nucléaire en France dans 10 ans?
Il est très difficile de répondre à cette question qui dépend de l’évolution des coûts respectifs des énergies, de la réalisation ou non dans les 10 ans d’un nouvel accident grave, de l’évolution politique avec le retour des partisans du tout nucléaire etc..
Mais en réalité, pour que la part du nucléaire ait beaucoup baissé et parvienne à l’objectif de la loi, voire mieux, il faudrait que l’investissement dans l’efficacité et la sobriété énergétique d’une part, dans les énergies renouvelables d’autre part soit massif.
Or, le but du lobby nucléaire est de s’y opposer, et de faire en sorte qu’il n’y ait qu’un choix: la poursuite du nucléaire. C’est le «There is no alternative» (« Il n'y a pas d'autre choix ») appliqué à l’énergie.
Julie: Les accidents ou incidents, se succèdent, (c’est mon sentiment) dans les centrales nucléaires. Dernièrement à La Hague il y a quelques jours. Le plus grave, évidemment s’est déroulé à Fukushima. Quelles sont les mesures à prendre en premier pour les éviter? Quelles leçons en tirer?
Le risque nucléaire est important. Il y a un risque d’accident majeur tous les 22 ans selon le directeur de l’IRSN. En France, nos centrales sont vieillissantes. La sécurité s’amenuise du fait du recours à la sous-traitance et des risques qui affectent un grand nombre de centrales (risque systémique).
Les réponses à cette situation sont diverses. D’abord investir massivement dans la sécurité des centrales et fermer celles pour lesquelles l’investissement apparaîtrait démesuré. Il faut se préparer à un accident et nous sommes très en retard à cet égard puisque ce scénario n’a jamais été vraiment imaginé.
Surtout, il faut construire une alternative nous permettant de sortir à terme du guêpier nucléaire qui est en passe de devenir l’énergie la plus coûteuse.
Fab15: Quel est votre rôle dans la vie politique en ce moment? Que faites-vous depuis que vous n’êtes plus députée?
La politique n’a jamais été mon métier mais une passion. J’ai repris mon métier d’avocate où je défends des causes qui sont en lien avec mes convictions; je dirige le Rassemblement citoyen-CAP21 et travaille à une plateforme commune des mouvements qui viennent de la société civile, et veulent participer à la vie de la cité au sens large et construisent le «nouveau monde» celui du mariage de l’économie, de l’écologie et d’internet.
Alal: Vous dites que la France est un état nucléaire. Pourtant, la France semble vouloir réduire sa part du nucléaire dans sa consommation énergétique d’ici 2025. C’est déjà un bon pas en avant, non?
Oui mais l’un n’empêche pas l’autre. Quand je parle d’Etat nucléaire je veux dire que c’est l’appareil d’Etat, une grande partie de l’industrie, l’immense majorité des politiques qui soutiennent le nucléaire, et combattent de fait le renouvelable.
CC: Fessenheim ne fermera jamais, on est bien d’accord?
Jamais, non car elle finira par fermer. Mais pas avant 2017, oui. Mais il ne fallait pas que Delphine Batho soutienne qu’il n’y avait aucun risque à Fessenheim justifiant sa fermeture…
Source : 20 minutes
http://www.20minutes.fr/planete/1465331-20141021-corinne-lepage-faut-construire-alternative-sortir-guepier-nucleaire