L'adoption du CETA par le Parlement européen se fait dans un contexte assez différent de celui dans lequel ce traité a été pensé et négocié. J'avais été très certainement parmi les premières à tirer la sonnette d'alarme lorsque toutes les énergies étaient concentrées contre le TAFTA pour souligner que le vrai sujet était le CETA, dans la mesure où le texte était achevé et déjà accepté alors que le TAFTA était encore dans les limbes de l'élaboration.
Depuis lors, le contexte a profondément changé et, si l'opposition au TAFTA demeure légitime, son évolution semble pour l'instant totalement suspendue.
Le contexte a profondément changé sur plusieurs points. Les négociations engagées, il y a près d'une dizaine d'années, l'étaient dans le cadre d'une mondialisation qui paraissait inéluctable au niveau économique et financier. L'arrivée de Donald Trump et son rejet de l'Europe conduisent l'Union à devoir rechercher d'autres alliances, qu'elles soient économique ou politique. Dès lors que cela ne peut être ni les États-Unis, ni la Russie de Poutine, il reste la Chine, le Canada et les grands pays émergeants. D'autre part, les montées des nationalismes et des tentations de repli menacent gravement nos démocraties. Ce n'est pas un hasard si, mis à part les verts qui l'ont fait sur des convictions construites, quelques centristes qui souhaitent un approfondissement de l'Europe avant tout, les opposants au traité étaient avant tout parmi les partis anti-européens qu'ils soient d'extrême droite ou d'extrême-gauche. Or, le développement économique est incontestablement un moyen de créer de l'activité comme de la richesse et donc par voie de conséquence de pouvoir s'opposer aux tentations extrêmes.
Par ailleurs, le contenu-même du texte a évolué dans le bon sens grâce à la mobilisation citoyenne. Ni OGM, ni bœuf aux hormones, ni hormones de croissance dans notre alimentation ne sont dans ce traité si nous n'en voulons pas, la reconnaissance d'appellations protégées augmente et la composition du tribunal arbitral a évolué dans le bon sens. Nous avons réussi à imposer certains standards, notamment sur l'étiquetage, à destination du marché nord américain, chose que nous n'avions réussi à faire depuis des dizaines d'années. Tout cela constitue des progrès notables. Pour autant, le texte n'est de loin pas satisfaisant au moins sur 3 points majeurs.
D'une part, la notion de tribunal arbitral est inacceptable. C'est une atteinte à la souveraineté des Etats et de l'Union qui n'est pas tolérable, même s'il s'agit aujourd'hui de juges professionnels dont l'indépendance serait garantie. Il n'est pas acceptable que les multinationales puissent bénéficier du droit d'imposer aux Etats leurs propres règles alors même qu'elles ne subissent en aucune manière la responsabilité des conséquences dramatiques pour la santé et l'environnement de leur comportement. En second lieu, les questions environnementales climatiques n'ont en aucune manière été intégrées. Certaines études font apparaître un coût climatique très élevé du traité en parfaite contradiction avec les accords de Paris. En troisième lieu, les règles de protection sanitaire environnementale et sociale qui existent en Europe ne sont pas garanties sur la durée. Certaines professions et certains secteurs ont déjà évalué le coût en perte d'emplois du traité et il faut rappeler que la commission sociale du Parlement européen avait donné un avis négatif sur le traité. Dans les périodes de chômage massif que nous vivons, il est intolérable de signer un accord dont a priori il est établi qu'il ne créera pas d'emplois mais au contraire en détruira.
Mais ce traité doit maintenant être soumis aux Parlements des différents Etats et il est fort possible que certains d'entre eux refusent purement et simplement de l'entériner, un peu comme l'avait fait la Wallonie. Cette attitude pourrait être l'occasion de renégocier un certain nombre d'éléments pour faire des futurs traités des accords exemplaires. Cette renégociation devrait passer par la suppression des tribunaux arbitraux, la prise en compte des questions environnementales climatiques comme une donnée fondamentale et une analyse beaucoup plus fine des conséquences sociales que ce soit au Canada ou en Europe, de manière à faire du win/win et non pas du perdant/perdant. Ainsi, de symbole d'un mode de fonctionnement dont l'immense majorité des citoyens ne veut plus, ce traité pourrait devenir celui d'une autre forme de coopération entre les Etats, les entreprises et les citoyens.
Corinne Lepage
Avocate, Ancienne députée européenne Cap21, ancienne ministre de l'Environnement
Source : Huffington Post
http://www.huffingtonpost.fr/corinne-lepage/pour-il-est-encore-temps-de-renegocier-le-ceta/