A l'heure où certains considèrent à juste titre que l'Europe pourrait être une solution pour relancer la croissance en France (ce qui sous entend que parallèlement la France remplisse ses engagements), il n'est pas inutile d'appeler l'attention de nos concitoyens sur un des exercices les plus démocratiques qui existent.
"Bruxelles", qui pour beaucoup serait la cause de tous nos maux, excuse facile de nos gouvernements successifs et défouloir aussi et surtout des extrêmes peut parfois donner des leçons de démocratie. A condition de les entendre et donc de pouvoir les écouter.
La Commission considérée par essence comme antidémocratique par nombre de nos concitoyens qui ne savent souvent pas comment elle est désignée, ne l'est pas entièrement. En effet, si elle n'est pas élue (pas plus que ne l'est un gouvernement), elle est composée de 28 membres désignés par les gouvernements des 28 états démocratiquement élus et qui vont être soumis au Parlement européen démocratiquement élu au suffrage universel dans chacun des pays.
C'est l'article 17 qui soumet les candidats au feu des parlementaires -ou tout au moins ceux qui participent à l'exercice- qui n'est de loin pas de pure forme puisque le Parlement européen a déjà troublé la nomination de la Commission européenne. Lors de la précédente investiture de la Commission européenne, l'incompétente commissaire désignée Roumania Jeleva avait vu le chemin barré pour le poste de commissaire à la coopération. Durant les 3 heures d'audition, les parlementaires membres des commissions concernées avaient cherché à évaluer le niveau de compétence de la candidate commissaire, mais aussi les valeurs qu'elle défendrait au sein de la Commission européenne.
Sa situation personnelle et en particulier son patrimoine avaient été abordés avec de réelles demandes de clarification. L'absence de réponse jointe à des faiblesses, avait clairement conduit à son rejet, rejet qui avait déjà existé pour Rocco Butiglione 5 ans plus tôt. Désigné par Silvio Berlusconi et pressenti au poste des libertés civiles, le candidat avait essuyé les critiques des parlementaires sur des prises de position incompatibles avec les fonctions qu'il allait exercer.
Pendant la précédente mandature, le commissaire maltais John Dalli avait dû démissionner pour le non respect allégué par le président Barroso des règles de la Commission sur la directive tabac. La procédure de contestation qu'il a intentée est en cours. Mais, lors de son audition comme candidat, son passé très proche de l'industrie et ses a-priori avaient fait l'objet de réserves qui n'avaient pourtant pas conduit à son rejet, en raison du soutien du groupe politique auquel il appartenait. Cette démission individuelle exigée du président est un cas différent de celui de 1999 où c'est la Commission Santer dans son ensemble qui avait démissionné pour éviter le vote de censure du parlement.
Car, si la Commission en entier reçoit une investiture en début de mandat, elle reçoit un quitus annuel des parlementaires européens, qui doivent exercer leur mission de contrôle des instances européennes. C'est ainsi que certaines agences après un refus de quitus ont enfin commencé les réformes indispensables mais encore très timides pour réduire les conflits d'intérêt.
Pour une parlementaire française, habituée à déplorer une version minimale, voire l'absence de contrôle parlementaire sur l'exécutif, la pratique des auditions européennes que le Parlement européen fait subir aux candidats commissaires est très surprenante. Imaginons que certains ministres français soient obligés de passer devant les députés pour obtenir le portefeuille convoité et qu'il soit passé au grill de leur compétence et de leurs valeurs.. Pour certains, les casseroles qu'ils trainent depuis de nombreuses années et pour d'autres leur parfaite incompétence seraient rédhibitoires.
Pour mener l'audition, les parlementaires reçoivent les curriculum vitae et les déclarations d'intérêts financiers des commissaires désignés. Ils adressent des séries de questions écrites en amont de l'audition publique qui dure trois heures devant la (les) commission(s) parlementaire(s) compétente(s) pour les portefeuilles qui leurs sont attribués. Les commissions parlementaires procèdent à une évaluation et à des questions écrites complémentaires à l'audition.
Pour y avoir activement participé lors de la dernière mandature, avoir assisté à l'audition de 10 candidats commissaires, je puis témoigner du sérieux et de la profondeur des débats. La Conférence des présidents transmet les résultats des auditions à la Commission. Le président de la Commission vient présenter le collège et son programme de travail devant le Conseil de l'UE et le Parlement. C'est à la fin de cette procédure que le Parlement européen procède enfin à un vote d'approbation de la Commission européenne dans son ensemble. La Commission se soumet alors au vote du Conseil européen.
Cette longue procédure donne la légitimité démocratique à la Commission européenne. Cette légitimité de fait qui existe au sein des institutions devrait pouvoir être diffusée au sein de la société.
Malheureusement, hormis peut être l'audition du commissaire désigné français, l'audition des 26 autres commissaires européens, et donc du fonctionnement démocratique de la Commission et de son programme de travail pour les 5 ans à venir, va passer totalement inaperçu en France.
Quelle chaine de télévision diffusera les auditions des commissaires? N'est- ce pas le rôle des chaines parlementaires? N'est-ce pas une information qui mériterait d'être diffusée sur les chaînes d'information en continu? Le journal de 20h n'a-t-il pas 2 minutes au lieu des traditionnels faits divers qui captent régulièrement la moitié du journal? Comment peut-on dire quand on est journaliste que l'Europe est lointaine quand on ne la traite pas? Ces auditions quand on a des parlementaires efficaces sont de véritables outils pédagogiques, loin de la langue de bois.
La retransmission de ces débats permettrait aussi de juger de l'implication des députés français, de leur poids dans cette discussion fondamentale sur le choix des personnes et leurs orientations politiques majeures. En particulier, avec 1/3 des députés français au Parlement européen, la délégation du front national ne pourra que prouver qu'elle ne sert strictement à rien si ce n'est à affaiblir l'influence française dans les institutions.
Oui l'Union européenne est un espace démocratique qui connaît les travers du lobbying et des jeux d'influence. Mais pour que la démocratie puisse fonctionner, il faut que les parlementaires exercent réellement leur mission de contrôle. Au-delà, il faut aussi que les médias assument leur immense pouvoir et ne se limitent pas à la simplicité des petites phrases politiques. Le choix des « ministres » de l'Europe pour 5 ans que sont les Commissaires devrait être une excellente occasion de démontrer que les médias ont compris la leçon des européennes.
Corinne Lepage
Source : Huffington Post
http://www.huffingtonpost.fr/corinne-lepage/medias-tireront-ils-les-lecons-des-europeennes_b_5744030.html