Chercher à mobiliser les maires de France au soutien de la cause de René Marratier ancien maire de la Faute-sur-Mer est une erreur et une faute qui ne sont pas sans conséquences.

C’est d’abord une erreur. La communication faite en quelques mots par les médias sur les raisons de la lourde condamnation qui s’est abattue sur l’ancien maire de la Faute-sur-Mer, sa première adjointe, son fils et la société d’un autre adjoint est totalement inexacte.

Il suffit de lire le long jugement de 316 pages, très motivé, pour comprendre que le tribunal a voulu sanctionner non pas tant la délivrance de permis de construire illégaux, même si c’est un des motifs de la condamnation, que le refus systématique, persistant et parfaitement volontaire du petit groupe qui dirigeait la Faute-sur-Mer de prendre en compte un risque mortel identifié depuis 10 ans au moins et surtout d’en informer la population pour qu’elle puisse prendre des précautions.

Le refus d’organiser des réunions d’information, de distribuer massivement les brochures préparées par la préfecture, de mettre en place un plan de sauvegarde permettant d’agir en cas de risque, de placer des repères de crue, de faire bénéficier les habitants de diagnostics de vulnérabilité, a été sanctionné en même temps que l’opposition constante aux services de l’État pour mettre en place un plan de prévention des risques d’inondation (PPRI) et le retard organisé dans le renforcement des digues.

Sérieusement, beaucoup de maires de France et de Navarre estiment-ils être dans une situation comparable ? S’y est ajoutée une gestion incompréhensible de l’alerte rouge ou plutôt l’absence totale de gestion de cette alerte météo qui était pourtant la première du genre.

Sérieusement, quel maire de France aurait-il eu un comportement consistant à ne pas aller chercher les fax d’alerte reçus en mairie, à ne pas répondre à des alertes téléphoniques de la préfecture, à ne rien préparer pour accueillir le cas échéant des sinistrés, à ne pas se préoccuper de la montée potentielle des eaux, à ne prendre aucun contact avec ceux qui étaient chargés de surveiller la digue alors qu’il connaissait son état déplorable, et à préférer aller festoyer avec des amis le soir du drame, rentrer chez lui sans même aller regarder le niveau de l’eau et s’abstenir de chercher les dernières informations météo ? Franchement, qui a jamais rencontré un tel comportement ?

Quant à madame Babin, première adjointe chargée de l’urbanisme, femme extrêmement intelligente, qui cumulait les fonctions de propriétaire de terrains sur lesquels se sont édifiés plus de 250 maisons en l’espace de 20 ans, lotisseuse, responsable de l’agence immobilière qui faisait les transactions puis louait certaines maisons, elle était évidemment en conflit d’intérêts, ce que souligne le tribunal en faisant le décompte des millions d’euros que cette situation lui a rapportés, refusant même de répondre à la question du gain qu’elle avait retiré de ces opérations.

Dès lors, comment considérer qu’une telle situation concerne tous les maires de France ? Quant à vouloir rejeter la faute sur l’Etat, c’est une stratégie de la défense qui n’a pas tenu. Certes, des fautes ont été commises, reconnues par le tribunal en ce qui concerne le contenu du PPRI et l’instruction des permis. Mais, pour qu’il y ait un homicide involontaire, il faut une faute caractérisée non établie ici. Et ces fautes n’excusaient en rien l’attitude du maire seul responsable de la délivrance des permis de construire.

En revanche, comme l’a jugé le tribunal, il était caricatural de prétendre à une faute dans la gestion puisque les exigences de l’Etat ont été constamment rejetées par les élus.

C’est une erreur, mais c’est surtout une faute à bien des égards. Le tribunal a, a contrario, souligné l’importance et la valeur de la fonction d’élu local ainsi que la confiance légitime que les habitants devaient avoir dans leurs représentants locaux. C’est la dissimulation des risques qui a été sanctionnée et l’échec de la démocratie locale, dans ces circonstances très particulières, qui est pointée dans le jugement.

Estimer que ce comportement est la loi du genre est donc d’une extrême gravité et va directement à l’encontre du jugement du tribunal qui précisément, parce que ce n’est pas la loi du genre, punit les élus. C’est une seconde faute en ce que ce comportement de type corporatiste ne fait qu’accréditer l’idée qu’il existerait une «classe politique» au-dessus des lois ou tout au moins qui devrait être impunie parce qu’elle n’est pas soumise aux mêmes règles que les autres citoyens.

Ce message est déjà très fort dans la classe politique nationale. L’étendre aux élus locaux est d’une extrême gravité sur le plan démocratique alors même que l’immense majorité des élus locaux sont des hommes et des femmes issus de la société civile, qui se donnent pleinement à leurs fonctions, et qui sont un des moyens dont la démocratie française dispose pour réhabiliter le politique.

Faire d’un cas de très mauvaise école un modèle à défendre serait dramatique. Cela équivaudrait à faire savoir à tous nos concitoyens que les victimes de fautes pénales commises par des élus ne peuvent jamais être reconnues comme telles parce que l’auteur de l’infraction est un élu.

Enfin, le «parfum» politicien qui a entouré ce procès en raison de l’appartenance politique du maire et son soutien par de «grands élus» UMP est détestable comme l’est la critique systématique des juges. Ce jugement est frappé d’appel. Les magistrats de la cour d’appel de Poitiers rendront leur arrêt avec le même sérieux et la même impartialité que ceux des magistrats des Sables d’Olonne, n’en déplaise à ceux qui considèrent que la fonction politique ne confère que des droits et aucun devoir.

Corinne LEPAGE Euro députée

 

Source : Libération

http://www.liberation.fr/politiques/2014/12/19/le-proces-xynthia-n-est-pas-le-proces-des-maires-mais-celui-d-un-systeme_1167271