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Cap21 LRC Toulouse

3 questions sur le nucléaire que les candidats à la présidentielle vont devoir se poser

6 Avril 2017, 08:56am

Publié par Corinne Lepage

3 questions sur le nucléaire que les candidats à la présidentielle vont devoir se poser

 

Le travail sur l'efficacité énergétique doit être la priorité. Ensuite, la clarification des règles permettra d'engager la transition énergétique en préservant l'intérêt général.

 

Les candidats à la présidentielle se sont positionnés sur la question du nucléaire, de manière finalement assez théorique. Laissons de côté la position de François Fillon ou de Marine Le Pen qui sont restés figés sur une vision des années 70. Benoît Hamon, Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron proposent tous les trois de parvenir à 50% du nucléaire en 2025, les deux premiers programmant une sortie pour 2035/2050, Emmanuel Macron n'ayant pour sa part pris aucune position pour le futur dans l'attente de l'audit de l'ASN en 2018 et de l'évolution des coûts respectifs du nucléaire et des énergies renouvelables.

 

Mais le sujet est en train d'échapper à la politique énergétique pour devenir en réalité un sujet essentiellement financier, ce dernier étant pour partie conditionné par les questions techniques. Lorsque Jean-Bernard Lévy, président d'EDF affirme que le plus difficile est devant lui, une fois n'est pas coutume, je ne puis qu'être d'accord avec lui. En réalité, en sus des obstacles immenses déjà connus que sont la dette: 37 milliards d'euros, le mur d'investissement pour le grand carénage (entre 50 et 100 milliards d'euros), les problèmes de sûreté croissants dans les centrales évoquées très régulièrement par le président de l'autorité de sûreté nucléaire, trois sujets majeurs viennent s'ajouter:

 

La faillite de Westinghouse avec 9,8 milliards de dettes a entraîné une chute de la valeur boursière de Toshiba, mettant cette société en péril malgré un achat récent -2006- pour un montant de 4 milliards de dollars. Les causes de cette faillite présentent des similitudes considérables avec la situation d'Aréva: impossibilité de mener à bien un nouveau réacteur (comme l'EPR), malfaçons dans les constructions (idem), voir même des irrégularités qui pourraient bien rappeler ce qui s'est passé au Creusot. Or, Westinghouse n'est pas étranger au monde nucléaire français puisque tous nos réacteurs PWR sont à la base des licences Westinghouse. Il est pour le moins surprenant qu'aucun commentaire n'ait été fait par le monde nucléaire français au sujet de cette situation qui démontre que les mêmes causes produisant les mêmes effets, un géant comme Westinghouse/Toshiba peut être mis en faillite... comme l'aurait été Aréva si le contribuable français ne lui avait pas sorti la tête de l'eau. Mais, cette affaire montre la fragilité financière extraordinaire du vieux nucléaire dans le monde contemporain.

 

Le second élément tient aux révélations sur la parfaite connaissance qu'aurait eue EDF comme Aréva des dysfonctionnements gravissimes de l'usine du Creusot et des malfaçons potentielles de la cuve du réacteur de l'EPR et ce dès 2005. Cela signifie donc que c'est en toute conscience que Areva comme EDF ont continué comme si de rien n'était, persuadées sans doute que le gendarme du nucléaire de l'époque se tairait et que le lobby nucléaire d'État couvrirait les turpitudes quelles qu'elles soient. C'était sans compter sur Fukushima et sur la montée en puissance d'une autorité de sûreté nucléaire désormais parfaitement consciente de son rôle et de sa responsabilité. Cette inconscience qui frise la mise en danger délibérée d'autrui coupe toute capacité à EDF à venir se plaindre d'une décision qui pourrait être négative de l'autorité de sûreté en juillet 2017 quant à l'avenir de la cuve et du couvercle de l'EPR de Flamanville, soudés malgré les très fortes réserves de l'ASN rappelant qu'aucune décision définitive n'avait encore été prise. Cette insouciance, qui fait frémir, fait des remous outre-Atlantique sur le sérieux d'EDF dans la construction des EPR britanniques fortement fragilisés par le Brexit et la sortie obligatoire de la Grande-Bretagne d'Euratom. Or, EDF semble avoir construit toute sa stratégie autour de Flamanville et d'Hinkley Point; si l'un ou l'autre ne pouvait être réalisé, le risque d'un effondrement du château de cartes est plus que sérieux.

 

Enfin, La difficulté qu'a eu EDF pour augmenter son capital. EDF a procédé à une augmentation de capital de 4 milliards dont trois ont été souscrits par l'État. Mais, pour parvenir à trouver des acquéreurs, le prix nu a fait apparaître une décote de 28,8% sur la valeur théorique ex-droit et de 34,5% par rapport au cours de clôture de la veille du lancement de l'opération. Cette réduction de près d'un tiers du prix, quasiment unique dans les annales, s'explique par les très mauvais résultats d'EDF (un chiffre d'affaires en recul de 5,1% et de 6,7% pour l'excédent d'exploitation brut (EBITDA) et par des perspectives encore plus sombres que personne ne veut regarder en face. Plutôt que de rêver (ou cauchemarder) sur Hinkley Point au coût faramineux et à la pérennité douteuse (on voit mal pourquoi les Anglais accepteraient pendant 30 ans de payer trois ou quatre fois le prix normal de l'électricité) certains imaginent une solution à la Eon séparant les activités du XXème siècle (nucléaire fossile) de celle du XXIème (renouvelables). Quoi qu'il en soit, il apparaît clairement que le nucléaire n'a plus le soutien des banques ni des particuliers. Il ne peut donc se développer que dans les pays où l'État accepte de payer le surcoût du nucléaire. En France, nous payons très cher puisque comme l'a précisé un article récent de Dominique Pialot pour La tribune, du fait de la chute de la valeur d'EDF (sous les huit euros) le portefeuille de l'agence pour les participations de l'État a fondu de telle sorte que l'énergie qui représentait 80% du portefeuille en 2008 ne représente plus que 46% aujourd'hui.

Les décisions à prendre pour le prochain gouvernement doivent répondre à une équation digne de la conjecture de Hodge. Pourtant, une bonne dose de courage, croisée de réalisme et de pédagogie doivent permettre de résoudre cette équation. Le travail sur l'efficacité énergétique doit être la priorité. Ensuite, la clarification des règles, notamment concernant l'ASN, permettra tout simplement d'engager la transition énergétique en préservant l'intérêt général.

Corinne Lepage

 

Avocate, Ancienne députée européenne Cap21,

ancienne ministre de l'Environnement

 

Source : Huffington Post

http://www.huffingtonpost.fr/corinne-lepage/3-questions-sur-le-nucleaire-que-les-candidats-a-la-presidentiel_a_22027447/#

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F
Oui le nucléaire traditionnel, la filière uranium/plutonium, est condamnée. Mais le nucléaire ce n'est pas seulement cette filière. Il existe aussi la filière thorium/uranium dont la faisabilité a été prouvée il y a 50 ans à ORNL.
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C
Voilà qui doit nous donner envie de partir vers les énergies renouvelables
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