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Cap21 LRC Toulouse

Alimentation: l'infâme gaspillage

21 Octobre 2014, 11:03am

Publié par Frédéric Bouchareb

 

"Ce qui me scandalise, ce n'est pas qu'il y ait des riches et des pauvres, c'est le gaspillage !" Mère Thérésa

 
 

De la fourche à la fourchette, l'ensemble des pertes alimentaires est estimé globalement à près de 40% de la production mondiale.

Désormais, ce fléau concerne tous les pays, indépendamment de leur niveau de développement, à des degrés divers néanmoins.

De ce phénomène dramatique émerge un constat, le gaspillage alimentaire n'est plus un marqueur de développement, il représente dès lors un marqueur de mondialisation débridée. Les causes et les acteurs de ces déprédations sont multiples, souvent complexes. Il n'en demeure pas moins que ce fléau est:

  • un scandale environnemental et sanitaire;
  • une indécence sociale ;
  • une absurdité économique ;
  • et un contre-pieds éthique.

 
Introspection de ce phénomène :
 
La difficulté du combat à mener, est que l'intuition du gaspillage reste subjective, car dépendante d'une "grille perceptuelle" propre à chacun d'entre nous.
Ainsi, je ne puis m'empêcher de penser à la réaction de cet ami que j'ai surpris un jour jeter divers aliments encore emballés.
Embarrassé par ma perplexité, ce camarade de lycée m'a alors répondu penaud, qu'il ne s'agissait pas de gaspillage mais... de tri !
Deux citations antithétiques, illustrent parfaitement, sous l'angle de l'ironie bien sûr, l'éventail d'opinions, s'agissant de notre rapport au gaspillage.

Lire aussi:
 
 

 
"Pour un avare, éjaculer est un gaspillage", disait José Artur.
Hugo Pratt affirmait en revanche: "La chasteté, c'est du gaspillage"
Lequel des 2 était le plus proche de la vérité ?

Qui gaspille?
 
J'aurais dû écrire : "Qui ne gaspille pas", tant les dilapidateurs sont légion.
En fait, les coupables sont divers :

1- Les responsables du gaspillage primaire

Il s'agit du citoyen lambda qui, sensible aux promotions diverses se laissera tenter par des achats compulsifs. Il pourra aussi souffrir de cette "peur de manquer" qui l'amènera à acheter plus que de raison. Ce manque de discernement est ainsi à l'origine des 21% d'aliments (dont 30% non déballés) qui se retrouveraient régulièrement dans nos poubelles.

Il s'agit également de la restauration commerciale et plus encore, en raison des volumes, de la restauration collective sociale. Cette dernière assure notamment le couvert à nos enfants, dans les écoles, les collèges, les lycées et les CROUS.

Un vice-Président de Conseil Général, pourtant vertueux en la matière, me disait qu'il avait décidé de quantifier les pertes alimentaires dans les collèges de son département.

Il en est ressorti qu'un peu plus de 20% des repas (restes et excédents) finissaient "dans la benne".

A l'échelle d'un département moyen, doté d'une cinquantaine de collèges, le coût de ce gaspillage représente tout de même, près de 400 000 euros par an.

Le triste bilan en terme de gâchis, est sensiblement le même qu'il s'agisse d'écoles, de collèges ou de lycées. Il existe néanmoins des régions plus éthiques, telles que le Poitou-Charentes, le Limousin ou l'Auvergne. Les racines paysannes de ces régions, expliquant sans doute cela.
 
2- Les responsables du gaspillage secondaire
 
Il s'agit ici, du gaspillage qui survient au cours de la chaîne de production et de distribution. Dans ce registre, il convient de différencier le gaspillage non maîtrisé du gaspillage non maîtrisable. 

Il existe différentes étapes dans le processus de gaspillage, du champ à la poubelle.

- l'exploitation agricole;
A ce niveau, le gaspillage est difficilement contrôlable, les aléas climatiques étant imprévisibles. Cependant, avant conditionnement, les fruits et les légumes qui ne correspondent pas aux critères de calibrage requis, sont immanquablement retirés du circuit.

- Le transport puis l'entreposage:
Chocs et ruptures de la chaîne du froid sont notamment à l'origine de pertes non négligeable.

- L'usine :
Défaillances humaines ou mécaniques, contaminations détectées avant commercialisation, débouchés commerciaux insuffisants, font partie des causes de gaspillage dans l'industrie agroalimentaire.

- La grande distribution :
Retrait de produits consommables en raison de critères esthétiques, ou à l'approche des dates limites de consommation.

Pourquoi cette gabegie ?

Probablement parce que dans notre pays, pourtant réputé pour son patrimoine culinaire, la qualité alimentaire est perçue depuis près d'un quart de siècle, sous le prisme bactériologique. Cette politique, en aboutissant à une pasteurisation de l'alimentation, responsable de la standardisation du goût (et du dégoût), se sera faite au dépend des qualités nutritionnelles et gustatives.

En effet, la qualité alimentaire devrait se concevoir sous le triptyque bactériologique, nutritif et gustatif. Il est vrai que depuis 2001, la création du Programme National Nutrition Santé, a fortement incité les acteurs de la restauration collective et de l' l'Industrie Agroalimentaire à faire des efforts concernant le caractère nutritionnel de notre alimentation. Ainsi, l'équilibre nutritionnel est désormais à peu près pris en compte. De nombreuses collectivités ont pour cela recruté des diététiciennes.

Les Agro-industriels ne sont pas en reste, même si leurs efforts restent perfectibles bien sûr, car communiquer sur un apport plus mesuré en sel, sucre ou en matières grasses s'apparente souvent à de la poudre aux yeux.

Le chantier que nous devons désormais lancer, est celui par lequel nous aurions dû commencer, c'est la qualité gustative.

Régulièrement la presse se fait l'écho de la piètre qualité de la restauration scolaire.

Il est vrai que les contraintes budgétaires, additionnées à l'uniformisation des matières premières ne favorisent en rien la séduction des papilles.
Pourtant, le nombre des villes vertueuses et ambitieuses augmente régulièrement.
 
Le gaspillage alimentaire, est-il une fatalité ?

Il le restera tant qu'une volonté politique forte, ne verra pas le jour concernant essentiellement la restauration collective.

Il le restera également concernant le gaspillage alimentaire à domicile, aussi longtemps que les moins vertueux d'entre nous ne s'imposeront pas une discipline lors de leurs achats, puis lors de la gestion de leurs stocks. Il faut savoir que celles et ceux qui font leurs courses après avoir rédigé une liste, gaspillent moins, à la seule condition de s'en tenir à leur liste bien entendu. Faire ses courses le ventre plein, semble également être le meilleur moyen de résister aux achats compulsifs.

Pour autant, c'est au niveau de la restauration collective que la lutte anti gaspillage pourrait s'avérer intéressante. Il faudrait pour cela commencer par un nécessaire assouplissement de la réglementation sanitaire.

Ainsi, édulcorer le HACCP (Hazard Analysis Critical Control Point), comprenez : Analyse des risques et maîtrise des points critiques, pourrait être un bon pas vers la bonne voie pour de pas dire, vers le bon sens.

Ce qui au départ ne devait être qu'une méthode de travail pragmatique est devenu au fil du temps une norme extrêmement contraignante s'agissant de la gestion de la ressource alimentaire. Cette méthode induit incontestablement le gaspillage constaté aussi bien en restauration commerciale qu'en restauration sociale.

Faire "sauter ce verrou" permettrait notamment à des étudiants et à des retraités aux fins de mois difficiles, de se restaurer grâce aux excédents de la restauration collective sociale, une fois les contingences logistiques levées.

Que fait le politique?

Lors des assises de l'alimentation qui se sont déroulées à Poitiers en juin 2013, j'ai rencontré Guillaume Garrot, alors Ministre en charge de l'agroalimentaire.

Cet homme qui avait en quelques mois, mesuré l'extraordinaire gachis financier et environnemental que représente le gaspillage alimentaire, m'avait invité à rejoindre son groupe de travail pour y apporter des idées.

Ayant travaillé sur le sujet pour CAP21, j'ai proposé la mise en place d'un plan expérimental de lutte contre ce fléau en Poitou-Charentes.

Le courrier que j'ai adressé en ce sens à madame Royal, alors Présidente de cette région, n'aura manifestement eu aucun écho, car je n'ai jamais eu de réponse. Guillaume Garrot quand à lui, aura fait les frais du dernier remaniement ministériel et la lutte contre le gaspillage alimentaire rangée au "placard" en attendant qu'un prochain Ministre de l'Agroalimentaire veuille bien mettre les mains ...dans la benne.

En conclusion et afin de mieux mesurer ce que représente le gaspillage alimentaire, il faut comprendre qu'un hectare sur deux est cultivé inutilement.

Cultiver inutilement sous entend:

  • des semences agricoles gaspillées;
  • du carburant pour les engins agricoles et pour le transport, gaspillé;
  • de l'eau pour les cultures gaspillée;
  • des traitements agricoles très polluants, gaspillés;
  • un recyclage massif et coûteux des aliments jetés...et des emballages;
  • etc,

Si l'impact financier, partie émergée de l'iceberg, est énorme, l'impact environnemental, partie immergée de l'iceberg, est tout simplement dramatique.

 

Vétérinaire et Vice-Président de CAP21

 

Source : Huffington Post

http://www.huffingtonpost.fr/frederic-bouchareb/gaspillage-alimentation_b_6019634.html

 

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