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Cap21 LRC Toulouse

Pour un deuxième pacte de responsabilité

3 Mars 2014, 11:29am

Publié par Corinne Lepage

Pour obtenir la création d'emplois de la part du monde économique, le chef de l'État a admis qu'une augmentation des marges des entreprises était indispensable et a, en conséquence, lancé le pacte de responsabilité qui devrait être gagnant-gagnant.

Le même raisonnement doit désormais être tenu dans le domaine de l'énergie. Les tergiversations autour de la loi sur la transition énergétique, les attitudes pathétiques de certains protagonistes cachent une réalité qui pourrait se révéler suicidaire : l'absence de réels investissements dans les réseaux et le refus de voir se développer une production importante voire massive d'énergies renouvelables d'une part, l'absence d'investissements sérieux depuis la fin des années 1990 dans la sûreté et la sécurité de notre parc nucléaire jointe à l'échec de la filière EPR (l'EPR de Flamanville devait être en fonctionnement en 2012 pour un coût de 3,5Mds et constituer une tête de série pour permettre le remplacement progressif du parc à partir de la fin des années 2010) nous met en face d'un double risque catastrophique parfaitement décrit par le rapport Wise que vient de rendre public Greenpeace.

Pour l'éviter, un pacte de responsabilité doit être passé.

Quels sont ces deux risques catastrophiques ? le black-out ou l'accident.

Le black-out par une insuffisance de production d'électricité. L'effet "falaise" présente un risque majeur et c'est sur ce risque qu'a joué EDF depuis 15 ans pour ne pas investir que ce soit dans le renforcement de la sûreté ou dans les réseaux. Si les centrales ne sont pas prolongées au-delà de 40 ans, ce sont 20 réacteurs qui doivent fermer d'ici 2025. Comme le lobby nucléaire a plombé tout développement des EnR, une réelle efficacité énergétique (comment expliquer que nous n'avons réduit notre consommation énergétique que de 5% entre 2006 et 2012, alors que l'Allemagne l'a réduite de 9,2% et la Grande Bretagne de 12% pour des résultats industriels inverses) et l'investissement dans les réseaux, il n'existe aucune solution de remplacement... d'où le risque catastrophe nucléaire.

L'Autorité de Sureté Nucléaire et l'IRSN en sont parfaitement conscients. Les mises en garde de l'ASN sur le fait que rien n'était décidé pour une prolongation au-delà de 40 ans, sur la gravité de la corrosion des gaines de Zircaloy sur 27 réacteurs pouvant entrainer une réduction de la production en cas de non solution, sur l'importance des travaux à engager du fait des leçons à tirer de Fukushima et l'immense réticence de EDF à accepter une vision sécure des investissements en disent long sur le chemin à parcourir. L'ASN dans son avis rendu dans le cadre du Débat national sur la transition énergétique (DNTE) rappelait que

"chaque réacteur nucléaire devra être arrêté un jour du fait de son vieillissement, lié à la dégradation physique des matériels, en particulier ceux qui ne sont pas remplaçables, et à l'obsolescence de sa base de conception au regard du niveau de sûreté exigé pour des installations plus récentes (...). Les réacteurs ont été conçus, à l'origine, pour une durée de fonctionnement minimale de 40 ans (...). Si les considérations de sûreté n'ont jusque-là pas conduit à de prescrire d'échéance pour l'arrêt définitif des réacteurs nucléaires actuellement en exploitation, la possibilité de les maintenir en fonctionnement au-delà de 40 ans n'est pas aujourd'hui acquise".

Le rapport Wise est encore plus clair sur les 3 scenarii envisageables entre une sécurité dégradée, une sûreté préservée ou une sûreté renforcée. La fourchette de coût se situe entre 220 et 520 millions d'euros par réacteur pour le scénario bas, 770 M€ à 2 Md€ pour le scenario médian et 2,5 à 6,2 Md€ pour le scenario renforcé. Or, avec 50 milliards d'euros annoncés, soit 900 M par réacteur, on est en bas de la fourchette moyenne.

On peut comprendre l'intérêt financier que peut représenter pour EDF la prolongation de la durée de vie des centrales. Selon le rapport WISE, un rapport parlementaire de 2003 évaluait cet impact sur la valorisation de l'entreprise à environ 7 Md€ pour un passage de 30 à 40 ans, et 15 Md€ pour un passage de 30 à 50 ans.

Or, tout se passe aujourd'hui comme si EDF était en mesure d'imposer une prolongation de la durée de vie des centrales, pour un coût minimum, avec un risque maximum, et sans capacité de solutions alternatives. Tout se passe comme si l'Etat en avait pris acte. En effet, le plan du CODIRPA, qui concerne la réponse à un accident nucléaire, adopté dans la plus grande confidentialité par le Premier Ministre début février, prévoit pour la première fois les conditions de vie dans un univers contaminé. C'est irresponsable.

Le pacte de responsabilité devrait reposer sur un trépied.

Le premier pilier concerne la responsabilité des acteurs. Les règles actuelles d'assurance ne font courir à EDF qu'un risque financier minime : 80 millions d'euros. Il va de soi qu'en cas d'accident, la responsabilité pénale de personnes physiques comme de la personne morale pourrait être posée. Mais malheureusement dans une telle éventualité, la recherche de responsabilité pénale ne serait pas la première priorité. En revanche, la mauvaise volonté que semble manifester EDF à respecter les normes comme par exemple la corrosion des gaines et les risques qui en découlent pourraient un jour conduire à évoquer la mise en danger délibéré d'autrui. Le responsable de la sûreté et la sécurité est l'autorité de sûreté nucléaire. A cet égard, le poids de son expert, l'IRSN, devrait être clairement renforcé et la transparence assurée sur tous les rapports produits par cet organisme. Dans la mesure où l'autorité de sûreté est responsable sur le plan juridique la sûreté nucléaire de tous les Français, son indépendance doit être complète et aucune considération autre que celle de la sûreté ne doit entrer en ligne de compte dans son jugement. Quant à l'Etat, auquel la loi a retiré une grande partie de son pouvoir de contrôle, il reste néanmoins garant de l'intégrité physique de ses citoyens et de la sécurité nationale et par voie de conséquence doit imposer à une société dont il possède de surcroit 80 % du capital, le respect de ses obligations et la priorité donnée à la sécurité.

Après avoir défini les responsabilités exactes de chacun des acteurs, le pacte de responsabilité comporte un second pilier : la diversification immédiate du bouquet énergétique afin de n'avoir pas admettre à choisir entre le black-out ou la catastrophe programmée. Comment y parvenir ? En partant du principe que les centrales n'iront pas au-delà de 40 ans sauf exception décidée par l'autorité de sûreté. Partant de là, nous savons exactement de quelle capacité nucléaire nous disposerons. Reste à déterminer nos besoins et la manière dont nous compléterons année après année notre base d'origine nucléaire. Sur les besoins, nos marges de progrès sont immenses. En effet, alors que l'Union européenne a baissé de 8 % moyenne sa consommation énergétique 2006 et 2012, la France ne l'a baissée que de 5 % alors même que nous étions un des pays dans lequel malheureusement la désindustrialisation a été la plus marquée. Nous pourrions par exemple décider d'interdire le chauffage électrique dans les bâtiments, ce qui permettrait de réduire les besoins de pointe et à terme de réduire la consommation électrique. Sur la ressource, nous pourrions décider de satisfaire l'objectif de 23 % d'énergies renouvelables auquel nous nous sommes engagés vis à vis de l'union européenne en 2020. En particulier, la banalisation de la méthanisation, avec une simplification des procédures sur le modèle allemand permettrait d'augmenter rapidement et à bas coûts notre capacité de production. L'obligation dans le modèle espagnol de doter toute nouvelle construction d'une capacité de production électrique pourrait également être envisagée. En bref si on ne décidait de promouvoir les énergies renouvelables au lieu de les freiner, nul ne peut douter que nous y parviendrions.

Le dernier pilier enfin est celui de la responsabilité financière. Certes, entre 200 millions et 6 milliards d'euros par réacteur nucléaire, l'écart des travaux envisagés par le rapport Wise est colossal. Pour les 58 réacteurs, le différentiel est entre près de 12 milliards et près de 350 milliards. Mais, même si on prenait un chiffre médian de 180 milliards, qui correspond au bas de la fourchette de sécurité renforcée en prenant en compte le vieillissement et les leçons tirées des catastrophes qui se sont produites, encore faudrait-il se poser la question de la justification financière de tels investissements comparés à ceux qui seraient nécessaires pour sortir du nucléaire. Répondre à cette question implique évidemment de prendre en considération le coût d'un accident et de comparer de manière objective, la solution nucléaire qui assure au mieux la sûreté des populations à la solution renouvelables et efficacité énergétique en complément des centrales nucléaires portées à 40 ans maximum. C'est aussi la responsabilité des acteurs économiques comme des acteurs politiques et sociétaux de déterminer quel est l'intérêt collectif lequel ne se résout évidemment pas à celui d'une société nationale fut-elle EDF.

Ce pacte de responsabilité sur l'énergie permettrait à la France de reprendre en main son destin non seulement énergétique et son destin tout court.

 

Source : Huffington Post

http://www.huffingtonpost.fr/corinne-lepage/pacte-transition-energetique_b_4876444.html

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