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Cap21 LRC Toulouse

Décryptage des débats sur le tabac

9 Décembre 2013, 18:00pm

Publié par Corinne Lepage

 

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Le couperet est tombé par le biais du tribunal de commerce de Toulouse, la cigarette électronique est un produit destiné à être fumé -produit assimilé du tabac-. Les réjouissances des vapoteurs post vote du Parlement européen s'envolent en fumée ouvrant une nouvelle période d'incertitude juridique. Cette incertitude est concomitante des débats entre le Parlement européen et le Conseil de l'Union dans le cadre de la procédure du trilogue sur la directive tabac.

Le vote en fin de mandature de la directive sur les tabacs est une leçon d'anthologie dans laquelle malheureusement la santé publique et consommateurs risquent de ne pas se retrouver. En effet, si le lobby des cigarettiers est connu pour sa puissance, force est de constater qu'en l'espèce, il n'a pas été le seul en ce qui concerne la cigarette électronique (article 17 et 18 du texte). Ce dossier voit une opposition spécifique entre les lobbys du tabac, les buralistes, les distributeurs et fabricants de cigarettes électroniques (mobilisant les vapoteurs), l'industrie pharmaceutique (ne souhaitant pas d'alternative aux substituts nicotiniques).

A noter que l'UKIP parti siégeant au sein du groupe EFD a déclaré avoir reçu sur la même période une donation de £25,000 de la part d'un fabricant de cigarettes électroniques sans cacher le fait qu'il lutte contre une législation encadrant la cigarette électronique. En France le chiffre d'affaire estimé pour 2013 est de 100 millions d'euro. L'article 18 concerne la cigarette électronique, et l'article 17 concerne les nouveaux produits mis sur le marché. Les problèmes liés à l'article 17 sont directement liés à l'article 18. Cet article peut être lu de différentes manières et si l'article 18 venait à disparaitre, il pourrait être un vecteur pour l'introduction des cigarettes électroniques sous un nouveau statut.

Quel est l'intérêt du consommateur et de la santé publique? Lutter contre le tabac est évidemment un impératif de santé publique, ce qui n'empêche toutefois pas l'union européenne de continuer à subventionner les producteurs de tabac! Pour sortir de la dépendance tabagique, la cigarette électronique peut être une aide précieuse à tous les fumeurs. Idéalement, la cigarette électronique aurait dû faire l'objet d'un texte réglementant son usage mais les points de vue diamétralement opposés entre les membres du Conseil n'auraient pas permis de fixer un cadre rapidement dans un marché en très forte croissance. Le délai de mise en place aurait conduit à légiférer trop tardivement alors que le marché aurait déjà été trop fortement implanté. Mais, si la cigarette électronique doit être un outil de sevrage, elle ne doit en aucun cas servir à un but diamétralement opposé: constituer un sas d'entrée à la dépendance au tabac.

 

Par ailleurs, les effets de la cigarette électronique à long terme sont encore largement inconnus. La cigarette électronique ne peut être uniquement placée sous le régime commun de la responsabilité des producteurs et cela en regard des risques à long terme qui sont totalement inconnus. Les produits contenus dans la cigarette électronique et leur mode de consommation ne bénéficient d'aucun recul. Par ailleurs de nombreux produits envahissent le marché et les offres pour des recharges à 0,65$ fleurissent sur Internet sans que le législateur ne puisse avoir le moindre contrôle sur les produits mis en vente. L'enjeu est de pouvoir protéger les consommateurs et un marché naissant de scandales à venir.

En choisissant de classer la cigarette électronique sous le joug de la directive médicament, les parlementaires de la commission ENVI ont estimé qu'il devait y avoir une évaluation des produits mis sur le marché afin de protéger les consommateurs. La directive précisait par ailleurs que ces produits devraient être distribués hors du réseau pharmaceutique. Le Parlement a intégré la possibilité de la vente libre et a renvoyé aux États membres le soin de définir les modalités. Contrairement aux arguments développés par le lobby des cigarettes électroniques, les cadres médicament / paramédical / dispositifs médicaux peuvent être très souples et fournir les outils juridiques pour contrôler ce marché. Ces cadres ne conduisent pas de facto à une vente en pharmacie.

Le texte adopté en plénière par le Parlement européen n'a pas retenu l'amendement de la commission ENVI. L'amendement alternatif, soutenu directement ou indirectement par les buralistes, qui a obtenu un assentiment de la plénière, attribue à la cigarette le statut de produit de consommation courante. La rédaction de cet amendement alternatif est soumis à interprétation tant la cigarette électronique peut, soit ne bénéficier d'aucun cadre juridique spécifique, soit devenir un produit dérivé du tabac, soit être un produit médical -dans le cadre de revendication thérapeutique-.

Une troisième alternative consistait à classer la cigarette électronique comme un produit du tabac. Mais dans ce cas, le réseau de distribution et la fiscalité applicable aux cigarettes électroniques devaient être ceux du tabac. Ce cadre juridique posait aussi clairement la problématique de la responsabilité juridique sur d'éventuels risques sanitaires. En présentant un produit comme étant "moins nocif" cela limite le recours juridique des consommateurs.

La situation est aujourd'hui ubuesque et risque de se terminer de manière totalement paradoxale. Non pas en ce qui concerne les dispositions propres au tabac stricto sensu. Le consensus pour un étiquetage à 65% de la surface des paquets, le listing des produits CMR, l'interdiction des produits les plus dangereux et substituables et enfin l'interdiction des saveurs avec un report pour le menthol conduiront à l'adoption de la directive tabac. Mais reste posée la question de la cigarette électronique

Pour pouvoir trancher le Parlement doit se mettre d'accord avec le Conseil de l'Union. Sur les 28 membres, 15 membres ont déjà fait le choix pour un encadrement médicament. Le rapport remis jeudi dernier par la commission ad hoc à la Ministre de la santé belge ne devrait pas faciliter la tâche pour aller vers une législation de produit de consommation courante. La cigarette électronique y est présentée comme étant un produit dangereux, cheval de Troie de l'industrie du tabac pour cibler une population non fumeuse et produit pouvant se révéler contre-productif pour le sevrage tabagique d'une personne motivée pour arrêter de fumer. Le Conseil a donc fait une proposition de compromis qui aurait pour conséquence de tuer la cigarette électronique. Avec quel objectif? Ou avoir une capacité de négociation forte, ou et c'est le plus probable, exclure du vote l'article 18. Il n'y aurait donc aucune réglementation sur ce point mais une insécurité juridique évidente confirmée par la justice aujourd'hui.

En résumé, les institutions européennes vont devoir trancher sur 2 points majeurs : le contrôle de la mise sur le marché et le contrôle des points de vente. Pour ma part, au vu des données actuellement disponibles, la prudence pousse à un contrôle des produits et, au vu du potentiel en santé publique, à une distribution large avec un encadrement notamment sur l'âge (interdit au moins de 18 ans), une interdiction de la publicité et des messages sanitaires sur les risques. Mais le risque est grand que ce consensus raisonnable soit rejeté et que l'article 18 soit exclu du vote final. Le sujet serait alors repris dans quelques années, à une époque où la cigarette électronique sera très largement répandue quelque en soit ses effets, où les cigarettiers auront pu reprendre leur sinistre labeur de publicité en faveur du tabac sur la cigarette électronique, où de nombreux emplois se seront développés dans ce secteur, rendant quasi impossible une réglementation conforme à l'intérêt général.

 

Source :

http://www.huffingtonpost.fr/corinne-lepage/decryptage-debats-sur-le-tabac-_b_4413092.html

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